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Dans les Alpes valaisannes


Arnold Ottonin

des émigrants juifs sauvés de l’enfer.» «In den Walliser Alpen: Jüdische Emigranten vor der Hölle gerettet.»

Durant la Seconde Guerre mondiale, de nombreuses personnes sont venues en Suisse y
chercher refuge. La politique menée à l’égard de ces réfugiés reste controversée. Während des Zweiten Weltkriegs kamen viele Menschen in die Schweiz, um hier Schutz zu suchen. Die Politik gegenüber diesen Flüchtlingen ist nach wie vor umstritten.

Le champ de tensions entre les peurs de l’infiltration étrangère, l’antisémitisme et la tradition humanitaire a conditionné les prises de décisions des autorités politiques et militaires. Près de 10’000 personnes (lesdits « émigrants ») ont rejoint la Suisse avant l’éclatement de la Seconde Guerre mondiale et près de 51’000 personnes s’y sont ajoutées au cours de la guerre. La Suisse n’a pas accueilli que des réfugiés civils. Il lui a fallu en effet procéder aussi à l’internement de plus de 100’000 réfugiés militaires. La découverte d’une carte postale permet de raconter un de ces épisodes tragiques qu’ont connus tant d’émigrants (Fig. 1a et 1b).

Fig. 1a et 1b : Carte adressée à Monsieur Falconnier, douane, Champéry. Expéditeur : Réfugiée Marianne Kahn, Camp des réfugiés, Martigny. Karte der Geflüchteten Marianne Kahn an Herrn Falconier, Zoll von Champéry.

«Cher Monsieur, j’espère que vous vous rappelez de nous. Nous sommes venus le 6 janvier par le col de Couse avec les deux enfants, Jean et Charlotte. Nous étions dans la chambre 19 de l’Hôtel du Nord. Nous tenons à vous dire encore une fois combien nous vous remercions de nous avoir sauvé la vie. Sans vous, on serait resté dans la neige. Vous avez vraiment accompli un geste humain et à la fois héroïque. Nous sommes convaincus que cela vous portera bonheur mais nous espérons que le temps ne sera pas trop loin que nous puissions nous montrer reconnaissants envers vous. Nous sommes très bien ici. Mon mari est à l’hôpital, il a les pieds gelés et il souffre beaucoup. Il a fait 38° de fièvre. Les enfants vont bien nous considérons toujours comme un miracle que nous sommes en vie. La première carte que nous écrivons est pour vous. Bien des choses pour tous ces messieurs qui étaient avec vous. Toujours bien à vous. Mme Marianne Kahn, M. Richard Kahn, Mme Trude Haymann, Charlotte Haymann, Jean Haymann»
«Sehr geehrter Herr, ich hoffe, Sie erinnern sich an uns. Wir kamen am 6. Januar mit den beiden Kindern, Jean und Charlotte, zum Col de Couse. Wir waren in Zimmer 19 des Hôtel du Nord. Wir möchten Ihnen noch einmal sagen, wie sehr wir Ihnen danken, dass Sie uns das Leben gerettet haben. Ohne Sie wären wir im Schnee geblieben. Sie haben wirklich etwas Humanes und Heldenhaftes getan. Wir sind überzeugt, dass es Ihnen Glück bringen wird, aber wir hoffen, dass die Zeit nicht zu weit weg ist, um Ihnen dankbar zu sein. Uns geht es hier gut. Mein Mann ist im Krankenhaus, seine Füsse sind gefroren und er hat starke Schmerzen. Er hat 38° Fieber. Den Kindern geht es gut, wir betrachten es immer als ein Wunder, dass wir noch leben. Die erste Karte, die wir schreiben, ist für Sie. Viele Dinge für alle Herren, die bei Ihnen waren. Mit freundlichen Grüssen. Mme Marianne Kahn, M. Richard Kahn, Mme Trude Haymann, Charlotte Haymann, Jean Haymann»

Un texte émouvant

Cette banale carte à 10 cts est oblitérée de Martigny– Ville, le 18 janvier 1943. On remarque le cachet rectangulaire CENSURÉ. Le courrier des réfugiés civils en Suisse, tout comme celui des internés militaires, était soumis à la censure. Les rescapés de cette nuit d’enfer, mentionnés sur la carte postale, sont tous juifs, originaires de l’ex-Sarre et devenus apatrides ex-allemands en 1935 depuis le plébiscite : Mme Marianne Kahn, 31 ans, M. Richard Kahn, 34 ans, Mme Trude Haymann, 37 ans, Charlotte Haymann, 12 ans, Jean Haymann, 10 ans. On trouve leur sauvetage, durant la nuit du 7 janvier au 8 janvier 1943, et celui d’autres émi­grants juifs qui les accompagnaient, dans la thèse de Mme Ruth Fivaz-Silbermann « La fuite en Suisse : migrations, stratégies, fuite, accueil,
refoulement et destin des réfugiés juifs venus de France durant la Seconde Guerre mondiale ». Mme Fivaz-Silbermann m’a également communiqué le récit fait des années plus tard par ces rescapés d’une mort certaine. Cet extrait donne une idée des risques que les fugitifs prenaient pour fuir une extermination certaine par les nazis :

« (…) Il y a 1 m 60 de neige et ils marchent, comme ils

l’apprendront, sur une zone d’avalanches. Le poste de douane est fermé (Fig. 2). La neige leur arrive aux hanches, ils sont mal chaussés. Ils sont perdus. Ils descendent comme des automates, crient des appels au secours à intervalles réguliers. Au bout d’une longue marche épuisante, ils voient 4 lampes tempête briller dans la nuit noire. Les douaniers leur disent « Vous êtes fous, vous voulez vous suicider ? Si on n’était pas venu vous chercher, vous seriez morts ». Deux d’entre eux prennent les deux fillettes, les mettent chacune dans un grand sac à dos vide et descendent dans la vallée. Les sauveteurs avaient aperçu le groupe à contrejour sur la crête, contre les derniers rayons du soleil, alors qu’ils surveillaient les avalanches. Ils les réconfortent d’abord avec des barres d’Ovomaltine. À 22h, le groupe se remet à descendre. Les adultes sont accompagnés à pied, lentement, avec des passages difficiles à cause des avalanches et de longues haltes de repos dans des granges, avant l’arrivée dans un restaurant à Champéry, où ils arrivent à 5h, le 8 janvier. Les réfugiés se souviennent du douanier FALCONNIER, le même qui mènera plus tard des recherches pour retrouver une femme fugitive, disparue en montagne le 18 décembre 1942, comme il l’avait promis à son mari. A l’hôtel à Champéry, contrôle des pieds et des gelures: Richard Kahn a plusieurs phalanges de doigts de pied gelées et il sera amputé plus tard de plusieurs orteils, ce qui lui vaudra d’être accueilli en Suisse. Le couple Kahn, qui a eu un enfant né à Lausanne, quittera la Suisse en mai 1945 (…)». Ces rescapés font partie des 1’301 juifs (336 ont été refoulés) qui se sont présentés à la frontière avec le Valais où 7’500 civils - réfugiés, juifs, frontaliers français et italiens, maquisards, déserteurs - trouvèrent refuge durant la Seconde Guerre mondiale. Les gardes-frontière se montraient plus intransigeants que l’armée et la police. Les douaniers valaisans étaient placés sous l’autorité du commandant de corps vaudois Frédéric Rapp, antisémite affiché. Le rôle des gardes-frontière sur la frontière ouest change radicalement à la fin de l’année 1942, avec les premières arrivées de victimes persécu­tées par le régime nazi. En effet, à la fin juillet, les déportations de juifs depuis la zone libre française débutent. Désormais le gouvernement de Vichy prend une part active à la politique d’extermination nazie. Les juifs ne sont plus en sécurité en France libre. De plus, les Allemands envahissent cette dernière le 11 novembre 1942. Ainsi, la plupart des réfugiés qui, auparavant, restaient ou se rendaient dans la zone sud, essaient de fuir en Suisse. Sur le plan postal, le courrier à destination ou en transit par la France, est suspendu (Fig. 3).

Fig. 2 : Carte postale éditée en 1939 du poste de douane du Col de Coux où les fugitifs sont venus chercher du secours. 1939 herausgege­bene Postkarte des Zollamtes am Col de Coux, wo die Flüchtenden Hilfe suchten.

Fig. 3 : Carte envoyée d'Adelboden, le 23.12.1942 pour Marseille. Retournée en Suisse via Genève le 15.1.1943 et repartie en France le 16.2.43. Karte von Adelboden nach Marseille vom 23.12.1942. Am 15.1.1943 über Genf in die Schweiz retourniert und am 16.2.1943 wieder nach Frankreich geschickt.

Fig.4 : Le bureau de poste de campagne numéro 5566 était en service du 28.12.1942 jusqu’au 24.1.1944.
Das Feldpostamt Nr. 5566 war vom 28.12.1942 bis 24.1.1944 in Betrieb.


« Champéry, dimanche 18 avril (sans aucun doute 1943). Mes chers, repêché pour une relève de 30 jours, je suis à Champéry pour garder les juifs. Il y a là 300 hommes, femmes et enfants. Je travaille au bureau, comme aide fourrier et je suis bien. Ce n’est pas pénible. Je pense pouvoir aller à Pâques à la maison. Il fait un temps superbe et le pays est beau. Amitiés à tous. L’oncle Ernest». «Meine Lieben, ich bin für 30 Tage eingestellt um in Champéry die Juden zu bewachen. Dort leben 300 Männer, Frauen und Kinder. Ich arbeite im Büro, und es geht mir gut. Es ist nicht mühsam. Ich glaube, ich kann zu Ostern nach Hause gehen. Das Wetter ist wunderbar und das Land ist schön. Herzliche Grüsse an euch alle. Onkel Ernest». 

Dès l’automne 1942, de nombreux camps de réfugiés sont mis en place. Celui de Champéry accueille ceux qui se risquent à passer par les Alpes. La carte suivante (Fig. 4) a été écrite par un soldat suisse en fonction dans ce camp. Après 1942, les compétences sont clairement définies, en principe, tout au moins : les douanes et la police procèdent aux refoulements immédiats, l’officier de police de l’arrondissement territorial de l’armée, ou la Division de police, décide des refoulements qui ont nécessité une étude plus approfondie du cas. En Valais, les tâches de police frontalière sont attribuées au groupement mobile de la Brigade de montagne 10 (Fig. 5 et 6). Le corps des gardes-frontière était plus sévère envers les réfugiés que la troupe à qui une trop grande clémence était reprochée par le Commandant de corps Frédéric Rapp. Mais la philatélie permet de prouver que le garde-frontière valaisan Falconnier était manifestement un homme dont l’humanité sortait du lot, comme le démontre un nouveau témoignage figurant sur cette carte, envoyée par Ernst Rosenwasser, depuis le camp de réfugiés de Büren an der Aare. Détail incroyable, mise à la poste le 5 janvier 1943 (elle est datée du 1er janvier, mais elle n’a emprunté le circuit postal qu’après avoir été lue par la censure militaire), le garde-frontière Falconnier a dû la recevoir le jour précédant celui où, avec son équipe, il sauvait la famille Kahn et leurs accompagnants (Fig. 7). On peut déduire des textes signés par trois hommes sur cette carte, que le garde-frontière Falconnier a dû probablement prendre en charge ces personnes lorsqu’elles pénétraient en Suisse . À la lumière de tout ce que l’on sait aujourd’hui de la Seconde Guerre mondiale, on ne peut émettre de jugements sur la base de quelques documents d’histoire postale. Ces témoins d’événements, parmi des milliers d’autres, permettent à chacun, sans aucun esprit moralisateur, de se projeter dans cette époque difficile et souvent dramatique. On peut essayer d’imaginer tout ce que ces gens ont vécu, que ce soit du côté des fugitifs, que du côté de la police, de l’armée et des gardes-frontière. Et tout cela, grâce à quelques lignes écrites sur une carte postale.

  Fig. 5 et 6 : Lettre pour Lausanne et vignette bleue. Brief und blaue Vignette der WalliserGrenzpolizei.

Fig. 7a et b : Carte de trois autres émi­grants, adressée à Monsieur Falconnier. Karte von drei weiteren jüdischen Emigranten adressiert an Monsieur Falconier.

Quelques références

1. Die Internierung von Militär-und Zivilpersonen in der Schweiz 1939-1946, Georges Schild

2. Die Zensur von Briefpost in der Schweiz während des Zweiten Weltkrieges 1939-1945, Postgeschichte magazin Nr 17, Mai 2018 und

3. Die Feldpostnummern in der Schweiz während des Zweiten Weltkrieges 1939-1945, Postgeschichte magazin Nr 19, Mai 2019, beide von Christian Geissmann

4. FIVAZ-SILBERMANN, Ruth. La fuite en Suisse: migrations, stratégies, fuite, accueil, refoulement et destin des réfugiés juifs venus de France durant la Seconde Guerre mondiale. Thèse de doctorat : Univ. Genève, 2017, no. L. 884.

5. Archives fédérales suisses (site internet). Tous les documents sont la propriété de l’auteur.